30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école : une fin en soi ?
Depuis 1981, l’Éducation Physique et Sportive (EPS), un vocable qui n’est pas neutre sur le fond, a supplanté « l’éducation sportive » qui avait elle-même succédé, en 1962, à « l’éducation physique » chère à Pétain et mise en œuvre sous le gouvernement de Vichy. Rattachée au ministère de la Jeunesse et des Sports depuis la Libération, la discipline n’intègre le giron de l’Éducation nationale qu’au début des années 80.
L’EPS devrait être centrale parmi les enseignements à l’École, tant elle contribue et est indispensable au développement de l’enfant, et bien au-delà des seuls aspects « physiques ». Les enseignant·es de maternelle et de CP savent bien, par exemple, qu’elle contribue grandement à construire l’apprentissage de la latéralisation, du repérage dans l’espace, des verbes d’action etc… C’est un élément favorisant le vivre ensemble, la cohésion du groupe classe, l’inclusion, la coopération, l’entraide, la solidarité et a des répercussions positives sur l’ensemble des apprentissages, bien plus qu’un moyen potentiel de recentrage pour l’enfant, de retour au calme et à la concentration.
Elle va bien au-delà de l’agitation des « 30 minutes d’activité physique quotidienne » (ou 30APQ dans le jargon scolaire), qu’on présente, entre autres, comme un moyen de réduire le surpoids. Le discours ambiant tendrait à revenir aux temps emprunts d’une visée hygiéniste, de patriotisme, avec pour devise celle du (controversé) Pierre de Coubertin « Mens fervida in corpore lacertoso soit « un esprit ardent dans un corps musclé » (inspirée du poète satirique Romain Juvénal « Mens sana in corpore sano »).
Les 30APQ deviendraient, grâce au battage médiatique initié par JM Blanquer, une excellente initiative de faire « enfin » du sport à l’école ! Sous cette forme, l’activité contribuerait au bien-être physique et réduirait les risques de sédentarité et de malbouffe. Encore une fonction renvoyée à l’École tandis qu’on ne permet ni aux familles d’avoir le temps pour cuisiner, ni de fournir à toute la population les moyens financiers de mieux se nourrir, etc…
En pleine année olympique et paralympique, pour laquelle la promotion est insistante, la récente annonce de la suppression de l’oral EPS au concours de recrutement des professeur·es des écoles (CRPE) apparait comme un véritable danger pour cette matière. Ainsi, il ne serait pas étonnant qu’elle disparaisse purement et simplement des programmes au profit du sport, niant sa définition et ses objectifs, mais également tous ses apports et ses bénéfices. On assisterait alors à un nouveau recentrage des apprentissages sur les seuls « fondamentaux », objectif désormais peu dissimulé de la part de nos gouvernants alors que leur renforcement rétrograde actuel n’a en rien amélioré « les résultats » des élèves. On peut donc s’interroger sur ce qu’il restera à l’EPS, aux arts et aux autres disciplines qui sont pourtant tellement importantes pour la formation et l’émancipation des générations futures.
Le danger sera bel et bien de renvoyer l’EPS à l’extérieur de l’École, notamment aux centres de loisirs dont on sait la précarité et la difficulté à fidéliser les personnels et à construire des projets pérennes soutenus par des collectivités territoriales de plus en plus en difficulté financière (et qui se réclament de l’éducation populaire tout en s’en écartant). L’EPS serait également de plus en plus déléguée aux associations dont certaines sont plus en recherche de profits que de visée collective et surfent sur la vague libérale, profitant de fonds publics et de bénévoles et/ou de salarié·es précaires, sous-payé·es en lieu et place d’enseignant·es formé·es.
Un autre danger est de mettre en place une politique du « tout sport » en développant principalement la pratique sportive au sein des clubs dont l’optique n’est pas celle développée au sein du Service public d’Éducation et qui prônent le plus souvent d’autres valeurs que celles que nous devrions promouvoir à l’École. On a bien compris que l’objectif gouvernemental était de développer la performance, le dépassement de soi et l’esprit de compétition, toutes ces valeurs libérales qui feraient la grandeur et la réussite d’un pays… Le tout en faisant croire aux familles que leurs enfants ont le potentiel (sportif et économique) d’un Kylian Mbappé… On a bien compris également que l’objectif était de pousser clubs et fédérations à profiter du marché que tout cela représente.
Les risques d’une telle politique sont multiples. Par exemple, ne plus penser l’égalité garçons-filles alors même que l’activité physique, l’occupation des espaces et notamment celui de la cour d’école et de l’école hors les murs (comment on s’approprie le quartier et l’espace plus lointain selon qu’on est un garçon ou une fille) peuvent être des éléments favorisant (voir ce qui se joue par exemple sans le cadre de l’EPS pendant les récréations ou les interclasses) ou jugulant le sexisme. On pourrait aussi parler de l’amplification des inégalités d’accès à la pratique sportive ; en délaissant l’EPS au profit du seul sport hors l’école, le coût des licences sportives ou l’accès aux structures sont autant d’éléments de discrimination.
Une autre dérive possible serait que ces 30APQ suppléent à terme un véritable enseignement de l’Éducation Physique et Sportive. Avec peu de moyens, sans formation ni réflexion sur le sens, mais avec un carnet d’activités clé en main (2 déjà fournis) sans même prendre l’air, sans ou avec très peu d’inter-relations entre les élèves, sans empiéter sur les sacrosaints fondamentaux, mais avec une bonne conscience et un satisfecit très politiques, donc de façade. Pendant ce temps, on manque d’infrastructures sportives (terrains d’éducation physique, gymnases, piscines…) à proximité des écoles publiques parce que les choix politiques sont ailleurs. On manque de matériel parce que les budgets sont contraints et ne permettent pas de le renouveler. Ce ne sont pas les 30APQ qui permettront d’améliorer l’existant. Et si cela l’était, ce serait par l’intermédiaire de financements extérieurs (type sponsoring ou mécénat) qui feraient entrer des financements privés dans les écoles. Inacceptable.
Pour la CGT Éduc’action, il est donc plus que jamais important de redonner sa place à l’EPS dans les apprentissages, de la maternelle au lycée, de l’étendre à l’enseignement supérieur, de maintenir cette épreuve du CRPE et de former les futur·es enseignant·es.
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